Mon cher journal | #27 L’affaire du ventre

L’épisode où Clémentine découvre la lettre secrète.

Tu viens de découvrir “Mon cher journal” ? Commence par lire l’épisode 1.

Mon cher journal,

As-tu déjà eu cette impression de n’avoir pas vu venir quelqu’un d’un peu bizarre ? OK, d’abord, il faut que j’arrête de t’écrire comme si tu pouvais me répondre. Pour ça, soit il faut que je discute avec mes amis, ou au pire avec ChatGPT.

Bref, cette semaine, je me suis rendu compte que quelqu’un que je pensais sympathique était en fait un peu bizarre.

Tu te souviens du jeune stagiaire de la librairie dont je t’ai parlé ? (oui, je sais, on n’a que cinq ans d’écart, mais à mon âge, les gens plus jeunes commencent à me paraitre TRÈS jeunes)
L’autre jour, j’étais allée faire un tour là-bas, et au bout d’un (court) moment, je suis allée du côté salon de thé pour m’assoir parce que je n’en pouvais plus d’être debout. Petit aparté : je suis à sept mois de grossesse, mais mon ventre est tellement gros que les gens me demandent si l’accouchement est pour bientôt. Genre, bientôt = deux semaines.

Bref, je me suis assise et j’en ai profité pour commander un chocolat chaud, parce que… voilà quoi.

C’est donc le fameux gars qui m’a servie, et à ma grande surprise, il s’est assis à côté de moi à la table. J’ai jeté un coup d’œil discret autour de nous pour voir si la patronne de la librairie était par là, parce que je ne suis pas sûre qu’il soit censé s’installer pour discuter avec les clients ni qu’elle le prendrait très bien.

Il a commencé par me dire qu’il était content de me voir, et son sourire était si sincère que la seule chose qui est sortie de ma bouche a été un « ça me fait plaisir aussi ».

Après m’avoir parlé de nouveautés qui devraient me plaire, il a rapproché sa chaise et s’est mis à regarder mon gros bidon. Mais vraiment, fixer, quelques secondes, comme ça, sans rien dire. Chelou.

Puis il m’a demandé s’il pouvait toucher mon ventre. Hmmm… j’ai remarqué depuis quelques mois qu’en fait, plein de gens adorent toucher le ventre des femmes enceintes, et que certains ne prennent d’ailleurs même pas la peine de demander l’autorisation avant de le faire (et je dois te dire que je déteste ça : dans quelle autre circonstance quelqu’un se mettrait à toucher une partie de ton corps sans rien te demander ???).
Bon, comme lui il a demandé, et qu’il est gentil, j’ai dit OK.

Et là… Ewhhh… il n’a pas juste posé sa main brièvement pour voir si la cacahuète bougeait. Non ! Il s’est mis à caresser mon ventre avec ses deux mains pendant bien une minute !!! J’étais tellement abasourdie que je n’ai rien trouvé à dire (je pense que la grossesse me claque des neurones). Tu ne croiras jamais ce qu’il a fait ensuite ! Il s’est penché et a fait un bisou en plein milieu de mon ventre !!! Beurk !

Alors, ce que j’ai oublié de te dire, c’est que, ce jour-là, on était tous les deux avec Jules à la librairie. Et j’étais allée m’assoir pendant qu’il continuait à faire le tour des rayons.

Bien sûr, parce que c’est toujours comme ça dans la vie, c’est au moment où il était en train de me rejoindre que toute cette affaire du ventre s’est produite. Laisse-moi te dire que, malgré l’étroitesse des allées, Jules a trouvé la place de courir. Il s’est précipité, a écarté le gars, qui a failli tomber de sa chaise au passage, et, de son regard le plus noir, lui a demandé une explication. Le jeune a eu l’air un peu terrorisé. Il a murmuré « Pardon », puis a baissé les yeux vers le sol et a immédiatement rejoint l’arrière du comptoir en faisant semblant de se remettre au travail.

On est rentrés chez nous, et après m’avoir dit qu’il ne comprendrait jamais pourquoi je laisse autant de latitude à certains pour entrer dans ma vie, il s’est transformé en iceberg et a fait la gueule pendant deux jours.

Le peu de conversations qu’on a eues pendant ces deux jours (qui se sont essentiellement résumées à « qu’est-ce que tu veux manger ce soir » ou « je suis fatigué, je vais me coucher »), ont fait passer l’appartement à une température arctique.
J’imagine qu’avec ses patients, il n’a pas dû être d’une compagnie très plaisante non plus.

J’ai pris mon mal en patience en me disant que ça ne servait à rien d’essayer d’avoir une vraie discussion alors qu’on était tous les deux énervés, pour des raisons différentes, et que j’allais attendre que son humeur s’améliore.

Ça ne m’a pas empêchée de regarder une série Netflix trop chouette, et de continuer à lire (du coup, je me suis refait le tome des Bridgerton sur Colin). Entre deux épisodes allongée sur le canapé, j’ai quand même rangé tout doux le peu de cartons qui restaient du déménagement. Jules avait déjà vidé tout ce qui était lourd ou pénible.
Je me suis attaquée à un petit carton de fringues. Elles étaient toutes à Jules. Quelques t-shirts, deux ou trois jeans… Au moment de les ranger dans le placard, j’ai vu un petit bout de papier froissé qui dépassait d’une poche. Je l’ai sorti. Il avait l’air d’avoir été plié et déplié un million de fois. Je ne vais pas te mentir, Mon cher journal, je ne me suis même pas demandé si c’était indiscret de regarder ce qu’il y avait écrit.

En fait, ce n’était pas juste un bout de papier à moitié roulé en boule. C’était une lettre. Une lettre que Jules m’avait visiblement écrite un peu après qu’on se soit rencontrés, mais ne m’avait jamais donnée.

Je me suis assise sur le lit, et je l’ai lue en entier. Et là, j’ai pleuré. Et j’ai compris, aussi.

Un bruit m’a fait sursauter. C’était Jules qui ouvrait la porte d’entrée. J’ai vite replié le papier et je l’ai glissé à nouveau dans la poche.

Je suis sortie de la chambre et je me suis précipitée vers lui (dit comme ça, on dirait que c’est allé vite, mais en fait c’était à la vitesse de l’escargot). J’ai mis mes bras autour de son cou et je l’ai embrassé très fort. Et surtout, je lui ai dit que c’était plus sain de me parler du fait qu’il était jaloux plutôt que de me faire la tête pendant deux jours.

C’était bon de se retrouver. J’avais été carrément en manque de son vrai lui pendant ces deux jours. On a décidé de se faire livrer du chinois et on a passé la soirée enchevêtrés — câlinés. Mais de temps à autre, je me suis quand même demandé si je devais lui dire que j’avais trouvé sa lettre ou pas.

Clémentine

PS Je me rends compte que ce fameux jeans n’a pas été lavé depuis vraiment longtemps.

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